Le modèle user-centric : la révolution silencieuse du streaming musical

6 mai 2025

Pour bien saisir l’intérêt du modèle user-centric, il faut d’abord comprendre le modèle de rémunération dominant du streaming musical : le modèle pro-rata. Actuellement, les plateformes de streaming comme Spotify, Deezer ou Apple Music rassemblent toutes les écoutes des utilisateurs et répartissent les revenus en fonction du volume total d’écoutes. En d'autres termes, les artistes les plus streamés captent la majorité des revenus, quel que soit le comportement individuel des utilisateurs.

Un exemple simple : si un utilisateur ne joue que des titres d’un artiste indépendant sur le mois, son abonnement ne finance pas uniquement cet artiste, mais est redistribué selon le succès global de tous les artistes sur la plateforme. Résultat : les "géants" de la musique – souvent les grosses productions – captent une part disproportionnée des revenus, tandis que les petits labels et artistes émergents se battent pour des miettes.

Le modèle user-centric propose une approche radicalement différente. Plutôt que de mutualiser les écoutes, il individualise la rémunération. Cela signifie que l’abonnement mensuel d’un utilisateur est directement réparti entre les artistes qu’il a réellement écoutés. Si vous passez votre mois à écouter un groupe underground de Strasbourg ou un rappeur indé de Nancy, ce sont eux qui toucheront la part correspondante de votre abonnement, et non une superstar internationale que vous n’avez jamais écoutée.

Cette idée séduit de nombreux acteurs du secteur pour de multiples raisons. Voyons ensemble les principaux arguments en faveur de ce modèle.

L’un des arguments les plus percutants en faveur du modèle user-centric est qu’il assure une meilleure équité entre les artistes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une étude de Deezer, le passage à un modèle user-centric pourrait doubler les revenus de certains artistes indépendants. À l’inverse, les artistes ultra-dominants, représentant un très faible pourcentage de la scène musicale, perdraient une part marginale de leurs gains (source : Deezer Blog).

Les artistes émergents et niches, fortement soutenus par des fans fidèles, seraient beaucoup moins invisibilisés. Cela permettrait d'encourager une plus grande diversité musicale, essentielle pour enrayer l’uniformisation des tendances imposée par les majors.

Et les auditeurs dans tout cela ? Sous le modèle actuel pro-rata, leur abonnement mensuel finance souvent des artistes qu’ils n’écoutent jamais. Les amateurs de jazz d’avant-garde ou de noise rock peuvent ainsi se retrouver à rémunérer – indirectement – des mastodontes commerciaux qu’ils méprisent peut-être même.

Avec le modèle user-centric, l’utilisateur reprend le contrôle. Son argent va là où sa passion se dirige, et il devient ainsi un soutien direct aux artistes qu’il aime. C’est une manière de valoriser son rôle et de renforcer le lien émotionnel avec la musique qu’il consomme.

Dans le système pro-rata, les écoutes massives de certains artistes contribuent à concentrer toujours plus les revenus sur une poignée d’acteurs, creusant un fossé entre les stars et les artistes de niche. Ce déséquilibre favorise une élite, ceux qui ont déjà les moyens de dominer les playlists et d'être omniprésents dans les recommandations algorithmiques.

Le passage au modèle user-centric pourrait contribuer à décentraliser les flux financiers, redistribuant une part des revenus vers la "longue traîne" de l’industrie musicale. Cela encouragerait également une plus grande créativité en soutenant des artistes qui proposent une offre moins formatée – un vrai atout pour la diversité culturelle.

Les expérimentations autour du modèle user-centric confirment son impact potentiel. En Norvège et en France, des études menées par le CNM (Centre National de la Musique) et Deezer ont montré que :

  • Le modèle user-centric redistribuerait plus de revenus à 90 % des artistes, notamment ceux recevant moins de 50 000 streams mensuels.
  • Les genres musicaux de niche profiteraient d’une visibilité accrue.
  • La part des revenus captée par les "top artistes" diminuerait légèrement, mais sans impact catastrophique, avec un effet global plus équilibré.

Ces résultats montrent qu'adopter un modèle user-centric serait loin d’être utopique ou nuisible pour l’économie globale des plateformes. C’est une réforme possible – à condition de surmonter les résistances des majors.

Malgré ses avantages, le modèle user-centric ne fait pas encore l’unanimité. Pourquoi ? Tout d’abord, parce qu’il pourrait effriter le pouvoir économique des majors, qui profitent largement du modèle actuel. De plus, mettre en place un système user-centric nécessiterait une refonte technique des plateformes de streaming, ce qui représente un coût important.

Certains critiques craignent également que des comportements opportunistes n'émergent. Par exemple, des utilisateurs pourraient créer des "écoutes artificielles" pour booster la rémunération d’artistes spécifiques. Cela dit, ces pratiques existent déjà sous le modèle actuel avec les "farms" de streaming, qui faussent les résultats.

Si vous lisez cet article, c’est sans doute que vous suivez activement la scène indépendante, et cela vous concerne directement ! Les artistes indés souffrent particulièrement du modèle pro-rata, qui dilue leurs revenus. En défendant le passage au user-centric, nous avons une opportunité unique de rendre le streaming moins élitiste et plus fidèle à nos valeurs.

En tant qu'auditeurs, labels ou producteurs indés, nous avons tout intérêt à pousser pour des solutions qui favorisent une meilleure répartition des ressources. Faire du bruit sur cette question, c’est contribuer à rééquilibrer les forces et soutenir des musiques qui peinent souvent à traverser les radars mainstream.

Le modèle user-centric n’est pas seulement une idée séduisante : c’est une possibilité concrète pour rééquilibrer une industrie qui souffre d’inégalités criantes. Chaque écoute, chaque abonnement pourrait enfin peser réellement là où il compte. Certes, le chemin est encore long, mais des plateformes comme Deezer montrent l'exemple en initiant les discussions.

Alors, labels, artistes et auditeurs : si nous voulons que la diversité musicale continue d’exister, le moment est venu d’exiger un modèle plus juste. La révolution peut venir de nous et avec un peu de chance, réveiller une industrie qui tourne en boucle autour des mêmes noms.